13 mars 2020

Entrepreneurs en construction : démarches pour préserver la validité de votre hypothèque légale

Par : Gabriel Di Genova

En droit civil québécois, ceux ayant participé à la construction ou à la rénovation d’un immeuble sont protégés par le régime des hypothèques légales. [1] Cependant, une hypothèque légale—souvent appelé un privilège de l’entrepreneur—doit nécessairement être enregistrée dans les 30 jours suivant la fin des travaux.[2] La détermination de la date de la fin des travaux est hautement factuelle.

La période suivant la fin des travaux de construction sur un immeuble peut être mouvementée : visites du bâtiment, inspection, livraison, facturation, et, dans le cas de nouvelles constructions, financement et transfert de titre. Nonobstant ces défis, la Cour du Québec a récemment réitéré que le délai de 30 jours pour publier les droits des entrepreneurs demeure un délai de rigueur, nonobstant les circonstances.

Dans des projets d’une envergure plus importante, la publication d’hypothèques légales peut avoir des effets néfastes sur le financement du projet et placer le propriétaire de l’immeuble en contravention de clauses restrictives.

Dans la cause Dominic Goyette c. 926204931 Québec Inc., 2020 QCCQ 331 (CanLII), le propriétaire d’un immeuble a entamé des procédures devant les tribunaux afin de faire radier une hypothèque légale publiée contre l’immeuble sur la base que l’inscription s’est fait plus de 30 jours suivant la fin des travaux. L’entrepreneur général a contesté la demande, en soutenant que l’inscription a bien été complétée dans le délai requis.

Dans ce cas, le propriétaire de l’immeuble avait une relation familiale ainsi qu’une relation de travail antérieure avec l’entrepreneur général — ce qui explique partiellement les délais de publication de l’hypothèque légale. Nonobstant la relation particulière entre les parties, la Cour a conclu que les droits ont été publiés plus de 30 jours suivant la livraison du projet complété, justifiant ainsi la radiation de l’inscription à l’Index des immeubles.

Au soutien de sa conclusion, la Juge Annie Breault, j.c.q., s’est appuyée sur des arrêts de la Cour d’appel qui indiquent que le processus pour établir ‘la fin des travaux’ est un exercice hautement factuel: [25] La notion de fin des travaux n’est pas définie. Toutefois, l’article 2110 C.c.Q. offre un certain éclairage en précisant que « le client est tenu de recevoir l’ouvrage à la fin des travaux; celle-ci a lieu lorsque l’ouvrage est exécuté et en état de servir conformément à l’usage auquel on le destine ». La détermination de la fin des travaux est ainsi une question factuelle.[3]

Dans le cas actuel, le tribunal a considéré, sur une balance de probabilités, la crédibilité des témoins, les photos de l’entrepreneur du moment de livraison des travaux, les factures émises par l’entrepreneur, ainsi que le formulaire d’inspection pré-réception.

Comment protéger son hypothèque?

Il ne s’agit pas uniquement de publier l’hypothèque légale dans les délais requis. Les entrepreneurs en construction doivent s’assurer qu’une telle publication survivra une contestation devant les tribunaux. Dans les circonstances, il sera nécessaire de faire une analyse de ce que l’entrepreneur est en mesure de prouver.

Afin de limiter les risques qu’une inscription soit radiée par les tribunaux, les professionnels de la construction peuvent faire appel à plusieurs moyens pour se constituer une preuve de l’achèvement des travaux à une certaine date, en prévision d’une contestation éventuelle. Cette preuve peut se faire par tous moyens. Par exemple, un entrepreneur pourra :

 

  • Prendre des photos horodatées démontrant les travaux achevés au moment de la livraison;
  • Obtenir un rapport d’inspection après-construction d’un tiers neutre et indépendant (ex. ingénieur, architecte ou entrepreneur n’ayant aucun lien avec les travaux effectués);
  • Émettre des factures, au plus tard, au moment de la livraison des travaux, avec indication dans les documents que les travaux ont été complétés;
  • S’assurer qu’un formulaire d’inspection pré-réception soit complété—ce genre de document est obligatoire pour les garanties sur les nouvelles constructions, mais un document semblable peut être complété pour des rénovations affectant des bâtiments existants;
  • Échanger des correspondances horodatées (ex. courriel) avec le propriétaire affirmant que le travail a été complété et que l’ouvrage a été livré;
  • Prendre note des individus directement ou indirectement impliqués au projet qui peuvent témoigner de l’achèvement du projet à un moment donné, si nécessaire.

Bien qu’aucune hypothèque ne soit à l’abri d’une contestation, prendre certaines démarches ciblées pour compiler et préserver une preuve de l’achèvement d’un projet peut réduire substantiellement le risque de radiation judiciaire d’une hypothèque légale.

N’hésitez pas à contacter un membre de notre équipe si vous désirez obtenir plus d’information concernant les hypothèques légales dans un contexte transactionnel ou en cas de litige.

 

[1] Art. 2726 C.c.Q. (architecte, ingénieur, fournisseur de matériaux, ouvrier, entrepreneur ou sous-entrepreneur, ou les fournisseurs des matériaux ou services pour les travaux)
[2] Art. 2727 C.c.Q.
[3] Harding c. 6769845 Canada inc., 2015 QCCA 1971, par. 2 cité dans Constructions Pierre Brochu inc. c. Compagnie d’assurances et d’hypothèques Genworth Financial Canada, 2017 QCCA 1275, par. 14

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