13 août 2019

Agents immobiliers : identifiez-vous!

Par: Gabriel Di Genova

Les poursuites pour passation forcée de titre intentées par des courtiers immobiliers ne sont pas rares. De par la nature de leur profession, plusieurs courtiers deviennent des investisseurs immobiliers. Dans un jugement récent* de la Cour supérieure rendu par l’honorable Yves Poirier, j.c.s., la Cour rappelle le caractère primordial des obligations déontologiques des membres de l’OACIQ.

Dans la cause Immeubles Wilfrid Poulin ltée c. Groupe immobilier Trempe inc., 2018 QCCS 6055 (CanLII), la demanderesse et la défenderesse sont deux entreprises ayant comme activité principale l’exploitation d’immeubles non résidentiels. Cependant, le représentant de la demanderesse est non seulement un actionnaire détenant de manière indirecte 25% des actions de l’entreprise, mais aussi un courtier immobilier dûment inscrit auprès de l’OACIQ.

Une suite d’offres et de contre-offres conduisent à une offre en apparence acceptée et exécutoire : la demanderesse achèterait l’immeuble, donc débute sa vérification diligente. Ce dernier processus soulève une série de soucis environnementaux pour l’acheteur potentiel, mais la vérification diligente se poursuit et on reporte la date d’achat. Enfin, alors que les parties n’arrivent pas à s’entendre sur les documents et les modalités de clôture, la défenderesse refuse de procéder à la vente et informe l’acheteur que la promesse d’achat est maintenant nulle.

La demanderesse somme la défenderesse de se présenter chez le notaire afin de signer l’acte de vente, transmettant également un projet d’acte de vente mis à jour, énonçant pour la première fois que le représentant de l’acheteur (la demanderesse) est un courtier immobilier membre de l’OACIQ.

Suite au refus du défendeur de procéder à la vente, le demandeur dépose une demande en passation de titre.

La défenderesse invoque divers motifs pour refuser de passer le titre, notamment :

  • L’offre d’achat est frappée de nullité étant donné que les délais n’ont pas été respectés ; et
  • Le représentant de la demanderesse n’a pas respecté ses obligations professionnelles en ne divulguant pas qu’il était membre de l’OACIQ (en contravention à l’article 18 du Règlement sur les conditions d’exercice d’une opération de courtage, sur la déontologie des courtiers et sur la publicité).

La demanderesse a tenté de faire valoir que malgré le fait que le courtier ne se serait pas conformé à son obligation au sens strict, cette contravention ne résulterait qu’en une nullité relative (art. 1419 C.c.Q.). La demanderesse suggère qu’en raison du comportement de la défenderesse (poursuite des négociations, ect.), elle aurait renoncé à son droit d’invoquer l’article 18 pour justifier son refus de passer le titre de propriété.

La Cour rejette cet argument au motif qu’une violation de l’article 18 est suffisante pour annuler l’offre acceptée, car l’article existe essentiellement pour protéger le public:

[41] L’analyse du concept de la nullité relative n’est d’aucune utilité. La disposition prévue à l’article 18 du Règlement sur le courtage déroge des dispositions générales prévues à l’article 1419 du Code civil. L’obligation de révéler sa qualité d’agent immobilier, dans le cas où ce dernier détient un intérêt direct ou indirect, est la pierre angulaire de la protection particulière que l’État prévoit pour le contractant et le public en général. Le contractant doit savoir qu’il transige avec un professionnel de l’immobilier. La faculté de dédit ne repose pas sur le concept de nullité relative. En effet, en l’absence de cet avis, suivant le règlement, le contractant peut obtenir le dédit de la promesse d’achat sans autre motif que l’absence dudit avis, le tout sans qu’il y ait de dommage et réclamation possible pour les agents immobiliers impliqués ni pour le co-contractant. Le contractant n’a aucun motif, justification ou préjudice à établir. En tout temps, il jouit de ce droit de dédit jusqu’à ce que le contrat soit signé entre les parties. Le dédit a été communiqué à IWP le 6 juillet 2016. GIT bénéficie de la faculté de dédit et la promesse d’achat ainsi que la contre-proposition sont, dès l’instant où l’on invoque ce fait, nulles et non avenues. (emphase ajoutée)

Les conclusions de la Cour semblent draconiennes, tout particulièrement considérant le fait que les deux parties au présent litige étaient des investisseurs immobiliers expérimentés.

Nonobstant le fait que la demanderesse n’ait pas dénoncé officiellement que son représentant était membre de l’OACIQ, est-ce que la défenderesse avait néanmoins connaissance de facto de ce fait?  Dans son analyse, la Cour se fait discrète quant aux éléments de preuve présentés au procès. Étant donné la nature de l’industrie immobilière, on peut aisément supposer que le vendeur savait avec qui il faisait affaire ou, à tout le moins, que cette information lui était facilement accessible. Il paraît donc difficile d’annuler l’accord entièrement sur une question technique qui ne semblait même pas être une préoccupation pour la défenderesse, du moins jusqu’à ce qu’elle ait dû trouver un moyen d’annuler la vente. Cette décision est encore plus sévère considérant que la demanderesse se croyait en possession d’une offre d’achat acceptée et exécutoire.

En conclusion, l’état du droit en la matière est clair : l’article 18 du règlement est une disposition d’ordre public adoptée dans le seul but de protéger le public. À l’image des membres de toutes les professions, les membres de l’OACIQ ont des obligations éthiques qui peuvent limiter leurs opportunités commerciales .

Dans une perspective plus large, la décision du juge Poirier qu’être membre d’un ordre professionnel (ou d’un organisme réglementé) apporte son lot de droits ET d’obligations.

Les intérêts commerciaux de tout membre individuel sont (à juste titre) relégués au second plan par rapport à la protection du public.

 

*La décision a été rendue à l’origine par le juge Poirier en septembre 2018 ; la transcription écrite a été rendue disponible en juin 2019.

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