17 février 2020

Renseignez-vous et veillez prudemment à vos affaires!

Par Antoine Hammam

C’est ce que nous rappelle la Cour d’Appel dans un arrêt récent,[1] alors qu’elle reprend les principes établis depuis 1994 par la Cour Suprême du Canada dans Banque de Montréal c. Bail Ltée[2], en matière d’obligation de renseignement en droit civil Québécois.

Il s’agit d’un appel d’un jugement de la Cour supérieure qui a rejeté la demande d’une prêteuse privée en remboursement du prêt hypothécaire qu’elle avait consenti à l’une des intimées (une fiducie), l’autre (une personne physique), s’en étant portée caution. En défense, la caution invoque l’exception de subrogation,[3] prétendant avoir subi un préjudice dû à un manquement par la créancière à son obligation de renseignement.

La fiducie intimée était débitrice de deux prêts hypothécaires grevant un immeuble du patrimoine fiduciaire et dus à deux sociétés créancières distinctes, mais contrôlées par le même individu. La caution n’avait, toutefois, garanti que le prêt de deuxième rang. Après le défaut de la débitrice d’acquitter ses dettes à échéance, la société créancière de premier rang prend l’immeuble en paiement, sans contestation par la fiducie, ni par la caution. L’immeuble est revendu à grands profits quelques 18 mois plus tard. La caution croit, alors, sa créancière satisfaite et s’estime libérée de ses obligations.[4] Ce n’était, évidemment, pas le cas.

Le préjudice allégué par la caution proviendrait du fait qu’elle n’aurait pas été informée, en temps opportun, de l’intention de la créancière de premier rang de prendre l’immeuble en paiement.[5] Elle aurait, ainsi, manqué son opportunité d’exiger l’abandon de ce recours et exiger la vente par le créancier ou la vente sous contrôle de justice,[6] ou encore, de payer la dette de deuxième rang et être subrogée dans les droits hypothécaires de sa créancière.[7]

En reprenant les enseignements de l’arrêt Bail, la Cour d’Appel réitère que « l’obligation positive de renseignement ne nait que lorsqu’une personne se trouve dans une position informationnelle vulnérable pouvant lui engendrer des dommages ». Selon cette prémisse, une personne ne pourra se plaindre du fait que son co-contractant, ou un tiers, a omis d’apporter à son attention une information quelconque, lorsque celle-ci lui était raisonnablement accessible, sur demande, ou autrement.

C’est ainsi que la plus haute Cour de la province, infirme le jugement de première instance en reprochant à la caution son propre défaut de s’être renseignée. Comme la caution avait, ou pouvait se procurer, l’information en question et ne se trouvait pas dans une position informationnelle vulnérable, aucun manquement ne pouvait être imputé à la compagnie prêteuse.

C’est une mise en relief intéressante de l’obligation de se renseigner : une facette de l’obligation générale de renseignement qui est souvent occultée au profit de l’obligation de renseigner.

Qu’en est-il pour les prêteurs?  Cette obligation de se renseigner ne doit pas servir d’incitatif pour se reposer sur ses lauriers. Les emprunteurs se retrouvent fréquemment en position de vulnérabilité informationnelle par rapport à leur co-contractant. La proactivité demeure donc l’outil de prévention le moins couteux, à privilégier, même en l’absence d’impératif légal. Sans pour autant noyer son débiteur dans un océan d’information, la prudence reste de mise.

Si vous êtes prêteur, avant d’entreprendre un recours, de mettre en œuvre un droit contractuel ou de poser un geste quelconque qui risque d’affecter les droits de votre co-contractant (ou celui d’un tiers), considérer les conséquences de vos gestes et leur propension à être générateurs de préjudices pour autrui. C’est le cas, par exemple, lorsque vous réduisez ou remplacez les sûretés qui vont été consenties sans en aviser la caution. Cette dernière pourra alors vous tenir responsable du préjudice qu’elle en subit. En cas de doute, n’hésitez pas à errer du côté de la transparence.

D’autre part, si vous êtes emprunteur ou caution, soyez vigilants et déployez des efforts raisonnables pour vous renseigner activement, surtout lorsque des procédures judiciaires sont intentées contre-vous. On ne pourra pas vous le reprocher ultérieurement.

Dans tous les cas, les conseils d’un avocat vous permettront de déterminer les meilleures démarches à prendre selon vos circonstances particulières.

 

[1] Gestion Biltmore Inc. c. Fiducie Familiale et Martyne Huot, 2020 QCCA 43;
[2] [1992] 2 R.C.S. 554;
[3] Article 2365 C.c.Q.; Ce moyen de droit a, en fait, été soulevé proprio motu par le juge de première instance, après avoir rejeté la fin de non-recevoir que la caution opposait;
[4] Le prix de revente de l’immeuble était suffisant pour couvrir le solde des deux dettes, les intérêts et les frais;
[5] La caution avait pourtant reçu copie du préavis d’exercice du recours hypothécaire de la créancière, un fait qui semble avoir été écarté par le juge de première instance;
[6] Article 2779 C.c.Q.; Cela aurait potentiellement ouvert la porte à la libération de la caution si la vente se faisait à un prix suffisant pour satisfaire les deux créances, ou encore, par l’effet des articles 1695 s. C.c.Q., si l’une des sociétés créancières s’était portée acquéreuse de l’immeuble;
[7] Article 1656 (3°) C.c.Q.

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