23 juillet 2019

Règles normatives dans les conflits de construction

Par : Gabriel Di Genova

La Cour d’appel du Québec à récemment précisé l’application de divers régimes de prescription dans le cadre d’un litige de construction. Dans l’affaire Lacour c. Construction D.M. Turcotte T.R.O. Inc., 2019 QCCA 1023, la Cour d’appel a confirmé le jugement rendu en première instance,  statuant que la décision de la Cour supérieure d’accorder une demande en rejet basée sur les règles de la prescription était fondée.

Le litige concernait l’acquisition d’un lot vacant en l’an 2000, après quoi les acheteurs auraient mandaté un entrepreneur général (« Turcotte ») pour y construire une résidence. Avant que les travaux ne débutent, Turcotte avait mandaté SNC-Lavalin GEM Québec Inc. (« SNC-Lavalin ») pour procéder à l’analyse de la capacité portante du sol en lien avec la construction envisagée.

La construction fut achevée et les acheteurs prirent possession de la résidence en janvier 2001. Dès 2003, les acheteurs ont identifié des fissures dans l’immeuble et ils ont dénoncé la situation à l’entrepreneur. Au début, les fissures n’avaient pas été identifiées comme étant problématiques, car les parties croyaient qu’elles n’étaient qu’un simple indice de mouvement dans la bâtisse, comme c’est souvent le cas avec des nouvelles constructions. Cependant, dans les années qui suivirent, d’autres fissures et d’autres indications d’instabilité structurelle sont apparues.

En 2012, après avoir inspecté la propriété, l’entrepreneur Turcotte soupçonnait déjà que la dégradation de plus en plus évidente pourrait être plus importante qu’initialement prévu. Lors des interrogatoires au préalable, il fut établi que ce dernier avait même invité les acheteurs à entreprendre des procédures contre lui-même, en tant qu’entrepreneur général, afin de lui permettre d’appeler SNC-Lavalin en garantie, à titre d’expert du sol ayant participé à la construction.

En juin 2013, un expert mandaté par les acheteurs identifiait plus précisément le problème ainsi que les travaux correctifs requis. C’est ainsi qu’en août 2016, des procédures furent entamées par les acheteurs contre Turcotte pour réclamer les dommages liés aux travaux correctifs sur la résidence. SNC-Lavalin fut appelée en garantie par Turcotte.

En juin 2018, Turcotte et SNC-Lavalin ont présenté une demande en rejet basée sur une exception déclinatoire (168 C.p.c.) et sur la base que la demande était mal fondée en droit (51 et ss. C.p.c.).
La Cour supérieure a rejeté la demande introductive d’instance en juillet 2018.

Deux questions ont été soumises à la Cour d’appel :

  • Est-ce que le point de départ de la prescription apparaît de façon suffisamment claire et évidente?
  • Au stade d’une demande en irrecevabilité (168 C.p.c.) la Cour supérieure pouvait-elle considérer les interrogatoires hors cour et le rapport d’expertise des acheteurs?

La Cour d’appel a analysé la relation entre les divers régimes de prescription, notamment entre le régime de 5 ans identifié à l’art. 2118 C.c.Q. (perte de l’ouvrage qui survient dans les cinq ans qui suivent la fin des travaux) et le régime général de 3 ans en responsabilité contractuelle (1458 et 2925 C.c.Q.). La Cour d’appel réitère que la période de prescription maximale pour exercer un recours en responsabilité présumée des participants à la construction (2118, 2119 et 2121 C.c.Q.) est de 8 ans (5 + 3). Dans le cas actuel, la réclamation était donc prescrite :

[42] Dans le dossier dont nous sommes saisis, la demande introductive d’instance des appelants énonce que les travaux de construction de leur résidence ont été terminés en janvier 2001 et que les préjudices affectant celle-ci se sont manifestés graduellement. La période maximale pour invoquer le régime particulier de responsabilité présumée de l’entrepreneur en vertu de l’article 2118 C.c.Q. expirait donc au plus tard dans les huit ans, soit en janvier 2009. Le délai de prescription pour invoquer la responsabilité de Turcotte conformément à l’article 2118 C.c.Q. était donc expiré lorsque les appelants ont introduit leur recours le 12 août 2016.

Puisque les acheteurs étaient forclos de présenter une réclamation en vertu du régime de responsabilité présumée, la Cour d’appel s’est penchée sur la question de savoir si la responsabilité des participants à la construction aurait néanmoins pu être maintenue en vertu du régime de 3 ans (1458 C.c.Q.). En l’espèce, la Cour a statué de la réclamation aurait encore rencontré une fin de non-recevoir, mais en vertu de l’information obtenue pendant les interrogatoires au préalable, notamment :

  • Parce qu’en 2012, les acheteurs ont été encouragé par Turcotte à entreprendre des procédures à son endroit;
  • Parce qu’un rapport d’expert daté de 2013 aurait fourni aux acheteurs suffisamment d’information concernant le problème pour prendre leur recours.

Finalement, la Cour d’appel mentionne que si la demande en rejet avait été considérée strictement dans le cadre d’une exception déclinatoire (168 C.p.c.), sans que la Cour supérieure n’ait bénéficié des interrogatoires, celle-ci n’aurait pas pu être accordée. En effet, il aurait été prématuré de rejeter la réclamation.

Cependant, la Cour d’appel affirme qu’en considération de l’information obtenue au cours des interrogatoires hors cour et étant donné le contenu du rapport d’expertise des acheteurs, la demande introductive d’instance devait être rejetée sur la base d’être manifestement mal fondée et abusive, le tout en vertu de 51 et ss. C.p.c.

Ce dossier souligne l’importance d’agir rapidement pour entamer des procédures dans le contexte de défauts de construction (qu’il s’agisse de défauts de conception ou d’exécution), nonobstant le fait que les problèmes se manifestent graduellement. D’autre part, la conclusion de Cour d’appel démontre l’importance des interrogatoires hors cour, non seulement comme moyen de préparation d’un procès, mais également afin d’éviter des procédures aussi longues et coûteuses qu’inutiles, puisque vouées à l’échec.

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