28 mai 2025

Rachats par les dirigeants et acquisitions financées par emprunt : comment saisir les opportunités dans un contexte de taux élevés?

Auteurs : Karim Safi et Roy Cheung

Cet article fait suite à un panel organisé le 6 mai 2025 par Ernst & Young et Réseau Capital sur le thème du « Repreneuriat », au cours duquel Jordan Di Corpo (propriétaire et président de la boulangerie L’Amour du pain), Julien Miller (propriétaire et co-président de Allard et Emond) et Nicolas Gauthier (propriétaire et président de Jas filtration) ont partagé leur parcours de repreneurs. Leurs interventions constituent la base de la réflexion développée dans les lignes qui suivent.

En période d’incertitude économique, plusieurs dirigeants québécois se demandent s’il est encore judicieux de procéder à des rachats d’entreprise ou à une relève par emprunt. Pourtant, des opportunités réelles se dessinent — à condition de bien comprendre les règles du jeu dans ce nouveau paysage transactionnel.

Le repreneuriat : une tendance forte et une opportunité stratégique

Le repreneuriat, ou le rachat d’entreprises existantes, est aujourd’hui l’une des dynamiques économiques les plus marquantes au Québec. Selon une étude du Centre de transfert d’entreprise du Québec (CTEQ), environ « 24 000 entreprises pourraient être transférées ou vendues en 2024, comparativement à 15 000 en 2023 – une hausse significative de 60 % ». Ce phénomène s’explique par le vieillissement des propriétaires d’entreprises, mais aussi par l’intérêt croissant d’entrepreneurs et de dirigeants souhaitant prendre le relais.

Ce type d’acquisition présente plusieurs avantages pour les repreneurs :

  • Une clientèle existante,
  • Des processus déjà rodés,
  • Une marque souvent bien implantée dans son marché.

Cependant, le repreneuriat n’est pas sans défis. Trop souvent, les repreneurs improvisent leur approche, sans plan de relève clair, sans accompagnement juridique structuré, ni stratégie de gouvernance adaptée. Résultat : des frictions lors du transfert, des mésententes entre parties et, dans le pire des cas, l’échec de l’opération.

Un contexte économique en mutation : les taux d’intérêt redessinent la carte des transactions

Depuis 2022, les hausses successives des taux directeurs par la Banque du Canada ont profondément modifié l’environnement des fusions et acquisitions, particulièrement pour les entreprises de taille moyenne au Québec. Ces hausses ont eu un effet direct sur le coût du financement, rendant les acquisitions financées par emprunt, notamment les rachats par les cadres, plus coûteuses et complexes.

Mais toute contrainte crée aussi des opportunités. Et pour les dirigeants d’entreprises bien établies ou pour les repreneurs stratégiques, ce contexte offre des leviers de négociation, des ajustements de structure et des choix juridiques qui méritent d’être analysés à la lumière des nouvelles réalités économiques.

 

  1. Moins de concurrents, plus de pouvoir de négociation

L’augmentation du coût du capital a refroidi plusieurs acheteurs potentiels, en particulier ceux qui misaient sur un fort levier financier. Pour les acheteurs stratégiques – incluant les membres de la direction souhaitant racheter l’entreprise – cela signifie un environnement moins concurrentiel, donc des valorisations parfois plus favorables.

En pratique, cela se traduit souvent par :

  • Une plus grande ouverture des vendeurs à des paiements différés (type earn-out),
  • Une tolérance accrue aux clauses d’ajustement du prix selon la performance future,
  • Une possibilité de négocier des structures hybrides, combinant dette, équité et financement vendeur.
  1. Se préparer à une relève d’entreprise réussie

Pour qu’un rachat par les dirigeants ou une relève familiale se déroule avec succès, la préparation est la clé. Voici quelques éléments cruciaux à anticiper :

  • Évaluation objective de l’entreprise : Au-delà des chiffres, il faut bien comprendre les enjeux humains, opérationnels et juridiques.
  • Planification du transfert : Un calendrier structuré et progressif favorise une transition en douceur.
  • Implication progressive du repreneur : Cela permet d’assurer une transmission des savoirs et de préserver les relations avec les clients et les fournisseurs.
  • Structuration juridique adaptée : Choix de la forme d’acquisition (actions vs actifs), convention entre actionnaires, modalités de paiement, gestion des garanties personnelles – autant d’éléments où un encadrement juridique est crucial.
  • Accompagnement professionnel : Avocats, fiscalistes, comptables et conseillers en transfert d’entreprise sont des partenaires stratégiques pour éviter les erreurs coûteuses.

Sensibiliser les dirigeants actuels comme les repreneurs potentiels à ces bonnes pratiques est essentiel, non seulement pour sécuriser les transactions, mais aussi pour assurer la pérennité du tissu économique québécois, largement composé de PME.

  1. Repenser les structures de financement

Dans un environnement de taux élevés, il est crucial d’optimiser la structure de financement. Pour les dirigeants souhaitant racheter une entreprise ou en céder une à des employés ou associés, cela implique souvent :

  • Une implication plus marquée de prêteurs privés ou de fonds spécialisés en prêt mezzanine,
  • Un recours à des financements non traditionnels, y compris les coopératives de travailleurs ou les sociétés de capital de développement régional,
  • L’intégration de clauses juridiques flexibles pour adapter le remboursement à la performance réelle de l’entreprise.

Un avocat spécialisé pourra aider à encadrer ces modalités contractuelles de manière à limiter le risque personnel des acquéreurs et sécuriser les engagements de financement.

  1. Impacts sur la gouvernance et les pactes d’actionnaires

Le financement par emprunt accru modifie également la gouvernance post-transaction. Les prêteurs exigent souvent :

  • Des droits de regard sur certaines décisions stratégiques,
  • Des covenants financiers serrés,
  • Des obligations d’information renforcées.

Il est donc essentiel de bien structurer les pactes d’actionnaires et conventions entre parties prenantes pour intégrer ces exigences sans compromettre la flexibilité de gestion. Ces documents deviennent des outils clés de stabilité en période de volatilité économique.

  1. Fiscalité : un levier à optimiser

Enfin, la fiscalité des transactions est également affectée. La déductibilité des intérêts, les règles de capitalisation restreinte, ou encore les critères pour l’exonération du gain en capital sur actions admissibles doivent être revus à la lumière de chaque structure envisagée.

Un conseil juridique éclairé peut faire toute la différence dans l’optimisation du montage transactionnel.

Conclusion : Un moment propice… pour les stratèges bien entourés

Si les taux d’intérêt élevés complexifient certaines opérations, ils offrent aussi l’occasion de structurer des transactions plus solides, durables et alignées avec les objectifs à long terme des repreneurs et des cédants. Pour les dirigeants d’entreprise québécois, il s’agit moins d’attendre une conjoncture idéale que de s’entourer des bons partenaires pour transformer le contexte actuel en levier stratégique.

Vous songez à une acquisition ou un transfert d’entreprise? Nos avocats peuvent vous aider à transformer les obstacles actuels en tremplins vers une transaction réussie.

 

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