20 mars 2020
Quels sont les recours à la disposition des entreprises à une époque où les ressources judiciaires sont limitées ?
Par : Alexandra Criquet et Gabriel Di Genova
Afin de se conformer aux décisions gouvernementales en matière de santé publique, la Cour Supérieure et la Cour du Québec ont suspendu leurs activités régulières jusqu’à nouvel ordre. Le but est de limiter le nombre de personnes entrant dans les palais de justice au travers de la province. À compter de cette semaine, seuls les dossiers urgents seront traités par les tribunaux.
De plus, tous les délais de prescription pendants pour l’introduction d’une poursuite ou les diverses échéances fixées au sein d’un litige existant sont suspendus. En d’autres termes, les parties ne perdront pas leurs droits en repoussant le délai d’introduction d‘un recours, et tous les dossiers pendants seront automatiquement reportés par les tribunaux, sans préjudice aux intérêts des parties au dossier. Toutes les audiences portant sur les aspects procéduraux et de gestion sont également suspendues.
Non seulement les tribunaux limitent les audiences aux cas les plus urgents, et à compter du jeudi 19 mars 2020, le greffe des tribunaux n’émet plus de nouveau numéro de cour, de nouveau, à l’exception des dossiers urgents.
Comment cela affecte-t-il vos affaires ? Qu’est ce qui peut être fait afin de protéger vos intérêts commerciaux en cette période de rareté des ressources judiciaires ?
La notion d’« urgence » : Ce concept fait partie des critères qu’une cour analyse en vue d‘accorder certaines requêtes urgentes, telles que celles décrites ci-dessous. L’idée est que l’intervention d’un juge est nécessaire afin d’assurer la sauvegarde des intérêts d’une partie en raison du comportement/des actes/des omissions de l’autre partie, sur une base immédiate, pour rétablir l’équilibre entre les droits et les obligations des parties et éviter des dommages irréparables.
Injonctions provisoires (art. 509 du Code de procédure civile) : Une injonction est une ordonnance de la Cour supérieure de s’abstenir ou de cesser de faire quelque chose, ou d’accomplir un acte déterminé. Par ordre d’urgence progressive, les injonctions peuvent être de nature « provisoire », « interlocutoire » ou « permanente ».
Pour qu’une injonction aboutisse, il faut que i) une question sérieuse soit jugée, ii) le demandeur subisse un préjudice grave (qu’une ordonnance monétaire ne pourrait pas compenser), iii) la balance des inconvénients entre les parties doit favoriser le demandeur.
Un exemple d’injonction provisoire serait d’obtenir une ordonnance autorisant l’accès aux locaux ou l’arrêt des travaux de construction qui portent atteinte aux droits des voisins. À l’heure actuelle, seules les injonctions « provisoires » sont traitées par la Cour supérieure.
Ordonnances de sauvegarde : Une ordonnance de sauvegarde est similaire à une injonction provisoire, mais elle ne peut être entendue ex parte (sans la présence de l’autre partie). Ce recours existe généralement pour ramener les parties à un état d’équilibre. Il ne peut apporter qu’une réparation à l’avenir, et non rétroactivement.
Un exemple courant d’ordonnance de sauvegarde est le cas où un locataire commercial ne paie pas de loyer. Si le contexte le justifie, un propriétaire peut demander à la Cour de rendre une ordonnance obligeant le locataire commercial à payer un loyer en temps voulu jusqu’à la date du procès. Les tribunaux acceptent d’entendre les ordonnances de sauvegarde actuellement.
Saisies avant jugement (art. 516 du Code de procédure civile) : Une saisie avant jugement place les biens (meubles ou immeubles) entre les mains de la justice pendant qu’une procédure est en cours. Il s’agit d’un recours extraordinaire qui ne sera accordé par la Cour que si le bien est considéré comme étant en péril.
La Cour exige des raisons convaincantes et la preuve d’un risque sérieux pour accorder une telle ordonnance. Les tribunaux acceptent actuellement d’entendre de telles demandes.
Exécution des jugements rendus : Un jugement n’est utile que dans la mesure où il est exécutoire. Ainsi, si un jugement doit être exécuté contre une partie de manière urgente, la Cour facilite de telles ordonnances. Les services d’un huissier de justice sont souvent nécessaires pour ce genre de dossiers.
Contestation des saisies, des saisies avant jugement et des ordonnances d’expulsion : La raison pour laquelle les saisies avant jugement ne sont accordées que dans des circonstances extraordinaires est le niveau d’intrusion et le préjudice causé à la partie saisie. Les conséquences peuvent être graves pour la partie visée par ces ordonnances, car des activités commerciales entières peuvent être paralysées. Il en va de même pour les ordonnances d’expulsion. Étant donné les enjeux majeurs liés à ces questions, les tribunaux acceptent pour l’instant la présentation de telles contestations.
Division commerciale : La Chambre commerciale de la Cour supérieure traite généralement des litiges entre actionnaires et des procédures de faillite et d’insolvabilité. Bien que la Division commerciale n’ait pas publié de déclaration officielle concernant les affaires qui seront et ne seront pas entendues pour le moment, nous pouvons supposer avec confiance que les demandes doivent être conformes aux affaires susmentionnées et suffisamment urgentes pour mériter l’intervention de la Cour en temps opportun.
Régie du logement du Québec : Ce tribunal traite exclusivement des litiges entre les propriétaires et les locataires résidentiels. Le tribunal a annoncé cette semaine qu’à compter du 23 mars 2020, toutes les audiences seront annulées, à l’exception des dossiers soulevant des questions liées à la santé publique.
Devriez-vous tout de même entreprendre un nouveau recours judiciaire ? Étant donné que les délais sont suspendus en ce moment, y compris le délai de réponse à une procédure introductive d’instance, ce n’est peut-être pas le moment idéal pour lancer une nouvelle procédure. Le lancement d’une procédure entraîne divers coûts (timbres judiciaires, frais d’huissier, etc.) et, ainsi, non seulement un tel effort n’est pas rentable, mais il peut être totalement impossible, étant donné que les tribunaux ne délivrent même pas de numéro de dossier pour la plupart des dossiers. Cela étant dit, il n’y a aucun problème à collaborer avec votre conseiller juridique pour préparer une poursuite judiciaire pour le moment, de telle sorte que vous serez prêt à sauvegarder vos droits une fois que les services judiciaires fonctionneront à nouveau à leur capacité normale, ou une fois que le Ministère de la justice aura annoncé de nouvelles mesures permettant de faire avancer les procédures non urgentes.
Que faire à l’avenir ? Malgré les informations susmentionnées, la situation évolue quotidiennement et nos avocats suivent de près toutes les nouvelles annonces des tribunaux, du Barreau du Québec et du Ministère de la Justice. Pour de plus amples informations concernant les recours disponibles pendant cette période, veuillez contacter un membre de l’équipe de litige de KRB.