20 septembre 2020

Dissolution prématurée d’une société : les risques

Par : Gabriel Di Genova

L’utilisation d’une société par actions pour exploiter une entreprise présente deux avantages principaux : i) elle permet de bénéficier d’une certaine marge de manœuvre en matière de planification fiscale, et ii) elle limite la responsabilité des propriétaires de l’entreprise. Un récent jugement de la Cour du Québec concernant un litige de louage commercial met clairement en avant les dangers d’une dissolution prématurée d’une société.

Dans la décision Zixin2001 Inc. c. Dépanneur Gilford Li Inc. et al., 2020 QCCQ 2877,  la Cour du Québec a tenu le propriétaire de l’entreprise personnellement et solidairement responsable des dettes découlant de la relation d’affaires entre le locateur et la locataire.

La défenderesse primaire était une personne morale constituée en vertu de la Loi sur les sociétés par actions (Québec) avec un seul actionnaire, administrateur et dirigeant.  La défenderesse en question exploitait auparavant un commerce d’épicerie de type dépanneur dans un espace commercial situé dans l’immeuble de la demanderesse. Au départ, le litige portait sur le calcul des taxes municipales qui devraient notamment être acquittées par la locataire sous la catégorie de coûts opérationnels comme établi dans le bail commercial.

Conformément aux termes du bail, la locataire doit acquitter les taxes municipales en fonction de son pourcentage d’occupation des lieux.   Par ailleurs il y a eu un désaccord entre les parties par rapport à la méthode de calcul appliquée pour déterminer la différence de taux d’imposition de base entre les espaces commerciaux et résidentiels à l’intérieur de l’immeuble du propriétaire. L’écart entre les méthodes de calcul était important — près de 50 % — et dans le contexte particulier de ce  différend, la défenderesse à retenu un paiement partiel pour les montants réclamés à titre de taxes municipales.

Le procès sur le fond s’est déroulé en décembre 2019, et la défenderesse a finalement quitté les locaux loués en février 2020. Suite à l’abandon des locaux commerciaux en février 2020, l’âme dirigeante de la défenderesse a procédé à la dissolution de la société. Bien qu’aucune explication ne soit fournie dans le jugement expliquant les raisons pour lesquelles la société fut dissoute, on peut facilement supposer que cela a été fait dans une tentative d’esquiver les conséquences du jugement imminent.

Lorsque le propriétaire de l’immeuble a  appris que la société a été dissoute, il a demandé l’autorisation de la Cour pour modifier ses procédures, ce que la Cour a accordé en vertu de l’art. 206 C.p.c. qui permet une modification « à tout moment avant le jugement […]« . Par le biais de l’amendement postérieur au procès, la demanderesse a réussi à mettre en cause personnellement le seul dirigeant de la société en tant que codéfendeur.

Après avoir examiné la dissolution volontaire de la société par le dirigeant et l’application de l’art. 313 de la Loi sur les sociétés par actions (Québec), la Cour a conclu que le seul dirigeant de la société serait tenu solidairement responsable de la dette :

[41] Le 3 février 2020, date où le certificat de dissolution a été délivré par le registraire, Mme Li Hui Hu devenait dès lors personnellement responsable des dettes et obligations de Dépanneur, particulièrement en regard de celles qui, suivant le bail commercial, obligeaient cette dernière envers Zixin.

L’élémentimportant à retenir est que la dissolution prématurée peut avoir des conséquences drastiques pour les propriétaires des entreprises. Comme le bail commercial ne comportait pas de clauses de garantie personnelle, dans le cas présent, le propriétaire de l’entreprise aurait peut-être dû considérer les avantages d’une procédure en insolvabilité. Cela aurait pu le mettre à l’abri de toute responsabilité personnelle, tout en lui permettant de gérer les dettes courantes de la société.

Dans ce cas particulier, le défendeur secondaire (une personne physique) a engagé sa responsabilité personnelle pour une dette d’environ 18 000 $, plus les intérêts et les frais. Ce montant dépasse considérablement les honoraires moyens d’un syndic chargé de superviser une simple faillite.

Une alternative à l’insolvabilité aurait été pour les défendeurs d’envisager de reconstituer l’entité dissoute (conformément à l’article 365 de la Loi sur les sociétés par actions (Québec)) avant que le tribunal n’autorise la modification pour inclure le propriétaire de l’entreprise comme défendeur personnel. La décision n’élabore pas les raisons pour lesquelles ces mesures n’ont pas été prises, ou même si elles ont été envisagées.

Avant de prendre une décision sur le traitement ou la disposition appropriée d’une personne morale qui n’est plus destinée à être utilisée pour des opérations commerciales, il est conseillé de consulter un avocat spécialisé en droit des affaires.

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