15 avril 2020

Les Droits du Locateur/Locataire dans un Scénario de Faillite/Insolvabilité

En fonction des circonstances actuelles, un nombre croissant d’entreprises risquent de déclarer faillite sous la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (LFI) dans les mois à venir. Comme nous le savons, au moment lorsqu’un locataire dépose sa requête en faillite, ce locataire connaît des difficultés financières depuis un certain temps et a probablement déjà accumulé d’importants arriérés de loyer en conséquence.

Sur ce point, ci-dessous ce trouve un aperçu de haut niveau des questions fréquentes qui surviennent d’abord lorsqu’un locateur reçoit un avis de faillite d’un syndic pour l’un de ses locataires commerciaux – plus spécifiquement, comment est-ce que le locateur sera payé et qu’arrive-t-il aux sûretés détenues par le locateur (hypothèque mobilière, dépôt de garantie, cautionnement personnel et lettre de crédit).

PAIEMENT DU LOYER

Le locateur aura une créance privilégiée sur ce qui suit :

  1. Les arriérés pour une période de 3 mois précédant la faillite
  • Aucune disposition spécifique dans le bail est nécessaire afin d’avoir droit à cette créance préférentielle
  1. Loyer à titre accéléré pour un maximum de 3 mois suivant la faillite
  • Afin d’en bénéficier, le loyer à titre accéléré DOIT être prévu dans le bail

Le locateur aura une créance ordinaire non garantie pour tous autres montants qui lui sont dû et qui sont prévus dans le bail, créances qui ne sont pas comprises dans ce qui suit.

Q : Que signifie avoir une « créance privilégiée » pour le locateur?

: Les créanciers privilégiés sont payés après les créanciers garantis (et les créanciers prioritaires), mais avant tous autres créanciers non garantis. Étant donné que la LFI n’accorde pas un statut de créancier garanti au locateur, ce dernier sera placé après les créanciers garantis pour être payé pour les montants de loyers à son rang parmi les créanciers non garantis.

Q : Qu’arrive -t-il lorsque le locataire a accumulé 5 mois d’arriérés avant la faillite?

: Le locateur a seulement une créance privilégiée quant à 3 mois d’arriérés. Cependant, le locateur peut réclamer les 2 mois restants en tant que créancier ordinaire non garanti.

Q : La clause de loyer à titre accéléré dans le bail prévoit 6 mois de loyer à titre accéléré en cas de faillite. Cela signifie-t-il que le locateur a une créance privilégiée quant à 6 mois de loyer à titre accéléré?

R : Non. Le locateur n’a qu’une créance privilégiée quant à 3 mois de loyer après la faillite. Le locateur peut toujours réclamer les 3 mois restant de loyer accéléré – mais seulement en tant que créancier ordinaire non garanti. Évidemment, cette règle s’applique également à une clause pour loyer accéléré qui prévoit tout autre période de temps (ex. 9 ou 12 mois).

Q : Si je représente un locateur, comment puis-je augmenter les chances que mon client obtient le montant maximum possible sous les dispositions de créance privilégiée de la LFI?

R : Il est important de retenir que la créance privilégiée du locateur pour 3 mois d’arriérés et de 3 mois de loyer accéléré ne s’appliquent qu’au loyer. Les taxes foncières, frais d’exploitation, ajustements, etc. devraient être inclus dans la définition de « loyer » dans le bail (ou celle de « loyer additionnel » avec une indication expresse que le loyer additionnel fait partie du « loyer » tel que défini dans le bail) afin que le locateur puisse bénéficier d’une créance privilégiée pour ces montants.

SÛRETÉS DU LOCATEUR

En pratique, la vente des actifs d’un locataire va rarement générer suffisamment de fonds pour satisfaire toutes les créances de ses créanciers – d’où l’importance des sûretés. Cependant, ce ne sont pas toutes les suretés qui offrent le même niveau de protection pour le locateur dans le contexte d’une faillite du locataire.

Les sûretés qui suivent sont en ordre de ce qui offre le moins à ce qui offre le plus de protection pour le locateur.

  • Hypothèque mobilière :

Une hypothèque mobilière accordé par le locataire en faveur du locateur n’est pas opposable au locataire failli ou le syndic/créancier du locataire, en raison de la doctrine de la prépondérance fédérale (la législation fédérale (LIF) a préséance sur la législation provinciale (Code civil du Québec)).

En exemple de ce qui précède, l’extrait qui suit d’une décision clé de la Cour d’appel sur le sujet en fait résumé :

« […] force est de conclure que le statut de créancier garanti que revendique le locateur en vertu de son hypothèque mobilière conventionnelle modifierait directement l’ordre de collocation prévu à l’article 136(1) L.F.I. en bonifiant le rang d’une créance prioritaire expressément visée par l’alinéa 136(1)f) de la Loi sur la faillite. Il s’ensuit que les dispositions du Code civil en matière de priorités et d’hypothèques ayant pour effet de modifier l’ordre des priorités de la Loi sur la faillite en conférant au locateur un statut de « créancier garanti » sont inapplicables en matière de faillite. »

[CONSEIL PRATIQUE: Si un bail commercial octroi au locateur une hypothèque mobilière sur les actifs du locataire, l’hypothèque mobilière doit être publiée au RDPRM afin qu’elle soit opposable aux tiers (elle n’est opposable qu’à partir de la date de publication). Si cette hypothèque mobilière n’est pas publiée lorsque le bail est signé, le locateur risque d’avoir ses droits (et son rang) compromis par les autres créanciers qui pourraient publier leurs propres droits entre cette période et celle lorsque le locateur veut invoquer ses droits quelques années plus tard lorsqu’un défaut du locataire survient.]

  • Dépôt de garantie

En général, le locateur ne sera pas en mesure de conserver le dépôt de garantie, un tel dépôt étant renoncé au syndic de faillite en faveur de la masse des créanciers.

Sans élaborer sur les débats concernant ce qui suit – un dépôt de garantie détenu par le locateur en garantie de l’exécution des obligations du locataire en cas de son défaut est remboursable à la fin du terme du bail s’il n’y a pas de défaut, demeure la propriété du locataire et est, par conséquent dévolu au syndic au moment de la faillite (si ce dépôt n’a pas déjà été appliqué à un défaut précédent). Cependant, cette règle ne s’applique pas au loyer payé d’avance, qui est non remboursable et peut être appliqué au paiement de loyer futur ou une somme dû en cas de défaut. Étant donné que le loyer payé d’avance est non remboursable, ce loyer devient (ce qui est discutable) la propriété du locateur lorsque le bail est signé et, par conséquent, le syndic de faillite n’y a pas droit.

La jurisprudence indique que la distinction clé afin de déterminer si le dépôt en question doit être remis au syndic de faillite est la nature remboursable (propriété du locataire) versus non-remboursable (propriété du locateur) d’un dépôt, et ce, indépendamment de comment la clause du bail en question qualifie ce dépôt.

Bref, un dépôt de garantie est souvent une forme inefficace de sûreté dans le contexte de faillite – notamment parce que la capacité du locateur de retenir le dépôt est incertaine et que, dans le cas de contestation, cette capacité dépend entièrement de l’interprétation du tribunal des dispositions du bail et de l’intention des parties.

[CONSEIL PRATIQUE : Le meilleur moyen d’assurer qu’un dépôt de garantie est utile pour le locateur est de surveiller attentivement les défauts des locataires. Lorsque les arriérés de loyer s’accumulent, le locateur devrait fortement considérer l’application du dépôt de garanti aux défauts le plus tôt possible. Si vous représentez un locateur, cette option devrait être évaluée et discutée avec votre client bien avant que des arriérés de loyer se soient accumulés sur plusieurs mois étant donné qu’une fois le locataire dépose une demande de mise en faillite – il est souvent trop tard pour agir.]

  • Cautionnement personnel

Un cautionnement personnel est généralement un moyen fiable pour le locateur de maximiser ses chances de récupérer les sommes qui lui sont dû, indépendamment de la faillite du locataire. La raison de cela étant que, en l’absence d’indication expresse dans le cautionnement indiquant le contraire, la loi ne libère pas automatiquement la caution personnelle de ses obligations lorsque le débiteur principal (le locataire) fait faillite.

Cependant – il faut retenir 3 choses :

  1. Si la caution personnelle est un mandataire de l’entité locataire – L’art. 2363 CCQ prévoit que le « cautionnement attaché à l’exercice de fonctions particulières prend fin lorsque cessent ces fonctions». Par conséquent, il devrait avoir une renonciation expresse de cet article dans un accord de cautionnement personnel annexé au bail (et pas seulement sous forme de provision dans le bail lui-même).
  2. Reconduction du bail– L’art. 1881 CCQ prévoit que la « sûreté consentie par un tiers pour garantir l’exécution des obligations du locataire ne s’étend pas au bail reconduit». Cela s’applique tant à la reconduction formelle qu’à la reconduction tacite du bail sous l’art. 1879 CCQ. Cependant, l’art. 1881 CCQ n’est pas d’ordre public et on peut y déroger.
  3. Une considération importante en évaluant si un cautionnement personnel s’agit de la sûreté appropriée pour le locateur est que, d’une perspective de réalisation, ce mécanisme est typiquement pénible à réaliser. Premièrement, le locateur doit normalement passer à travers le processus judiciaire afin d’obtenir un jugement pour récupérer les sommes qui lui sont dû et, dans tous les cas, il n’y a aucune certitude de la solvabilité de la caution lorsque le locateur cherche à obtenir paiement.

[CONSEIL PRATIQUE : Pour ce qui est de savoir comment la caution personnelle devrait être structurée – bien qu’il ne cause aucun problème d’avoir une clause de caution personnelle directement dans le bail, il devrait tout de même avoir une page séparée en annexe au bail faisant état de l’accord de cautionnement personnel ainsi qu’un bloc de signature distinct de celui du bail.]

  • Lettre de crédit

Contrairement au cautionnement personnel, par lequel il est peut probable que la caution remette la somme totale de ce qui est réclamé sans contestation (surtout qu’il est permis pour la caution d’utiliser les mêmes moyens de défense que le débiteur principal contre son créancier) – typiquement, le locateur peut se fier sur la lettre de crédit suite au défaut du locataire, ce que la banque est obligée d’honorer lorsqu’elle est présentée avec le documents requis pour enclencher son obligation de paiement selon les conditions de ces derniers.

Il est moins probable pour une lettre de crédit d’être affectée par la faillite de locataire étant donné qu’elle n’est pas considérée être la propriété du locataire (les montants étant plutôt la propriété de la banque), et qu’elle est reconnue comme étant un instrument de garantie indépendant du bail. De plus, les principes de base de la faillite excluent la notion que la faillite est immatérielle aux accords entre tiers, ce qui par conséquent favorise l’indépendance des obligations de la banque sous la lettre de crédit.

Évidemment, les termes dans la lettre de crédit et les clauses dans le bail qui lui sont reliés doivent être rédigées attentivement afin que la lettre de crédit survie la faillite.

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