11 octobre 2021

La demande en substitution de garantie (art. 2731 C.c.Q.) : Des paramètres stricts et limités

Par : Gabriel Di Genova

L’hypothèque légale de la construction est un outil puissant pour protéger les intérêts d’un entrepreneur (ou tout créancier impayé) ayant contribué ou participé à la construction ou rénovation d’un immeuble. Cette protection peut également s’étendre à un sous-traitant, architecte, ingénieur ou fournisseur de matériaux. La publication d’une hypothèque légale sur le titre d’un immeuble est généralement une façon efficace de protéger les intérêts monétaires d’une telle partie, en assurant un paiement prioritaire, dans la mesure où les modalités procédurales de publication sont respectées (notamment, tel que détaillé aux articles 2726 et 2727 C.c.Q.).

Évidemment, une hypothèque légale publiée sur titre peut causer une panoplie d’inconvénients et conséquences indésirables pour le propriétaire de l’immeuble, qui peuvent persister jusqu’au jugement final sur la réclamation, ou jusqu’à ce que la dette soit éteinte à l’entière satisfaction du créancier. Une hypothèque légale peut, par exemple, amener un prêteur à rappeler un prêt, empêcher un propriétaire d’obtenir du financement et compliquer le processus de vente d’un immeuble.

Une façon d’éviter ou de mitiger ces inconvénients en attente d’un jugement final est le régime de substitution de garantie, tel que détaillé à l’art. 2731 C.c.Q., qui permet la radiation intérimaire d’une publication sur titre. Cependant, dans l’affaire Construction Tecta inc. c. Keita, 2021 QCCQ 7539, la Cour a récemment réitéré le principe établi selon lequel une ordonnance permettant la substitution de garantie en vertu de l’art.2731 C.c.Q. ne sera pas automatiquement accordée, et sera une option uniquement dans des circonstances spécifiques, lorsque toutes les conditions sont bien rencontrées.

Il y a quatre critères cumulatifs pour obtenir une ordonnance de ce type :

  1. La demande peut être présentée uniquement par le propriétaire de l’immeuble;
  2. L’hypothèque en question ne peut concerner une dette réclamée par l’État ou une personne morale de droit public (ex. une municipalité, Hydro-Québec);
  3. Il faut assurer la protection des droits du créancier hypothécaire après la radiation de l’hypothèque; ET
  4. Le propriétaire de l’immeuble doit démontrer, selon la balance des probabilités, que l’hypothèque lui cause préjudice.

Dans l’affaire Construction Tecta Inc., la Cour a analysé en détail la relation entre le troisième et le quatrième critère :

[24] Enfin, le préjudice nécessaire pour donner ouverture à une substitution de garantie doit être « sérieux et réel », par opposition à un préjudice seulement éventuel. Il ne suffit pas que le propriétaire préfère tout simplement avoir un titre libre de charge. Il doit démontrer de façon prépondérante que l’inscription de l’hypothèque légale lui cause un préjudice. Le fait de ne pouvoir obtenir un financement hypothécaire additionnel pour terminer les travaux ou de ne pouvoir négocier une marge de crédit sont des motifs suffisants pour donner ouverture à une demande en substitution de garantie. (soulignement ajouté)

Si la Cour conclut que le préjudice allégué par le propriétaire dans ce dossier était suffisant pour répondre au quatrième critère, le troisième critère n’était pas satisfait :

[49] La demande en substitution de garantie est rejetée. Ses allégations ne démontrent de manière prépondérante que les défendeurs remplissent toutes les conditions nécessaires pour pouvoir substituer l’hypothèque légale de Tecta. Notamment, la demande n’est pas appuyée d’une déclaration sous serment et ne précise pas de manière satisfaisante la nature de la garantie offerte, ses conditions d’encaissement ou son terme. Enfin, le montant est insuffisant. (soulignement ajouté)

Plus particulièrement, les requérants n’ont pas réussi à convaincre la Cour que les intérêts du créancier hypothécaire seraient suffisamment protégés si la substitution était autorisée. Le juge Thibaudeau a réitéré que toute substitution doit placer le créancier dans une position manifestement identique à celle qu’il occupait avant la radiation, et laisser une garantie suffisante pour couvrir le capital, les intérêts, l’indemnité additionnelle, les frais judiciaires et extrajudiciaires. Dans cette affaire, non seulement le capital proposé comme garantie était insuffisant pour couvrir la dette réclamée, mais le tribunal a, de plus, noté que les aspects procéduraux de la demande n’ont pas été respectés.

Par exemple, les requérants n’ont pas pris la peine de soutenir leur demande avec une déclaration sous serment. De plus, leur demande ne proposait aucun plan spécifique pour la substitution. En effet, celle-ci suggérait simplement que les requérants étaient disposés à fournir une garantie par l’entremise d’un dépôt en fidéicommis, d’un dépôt auprès de la Cour, ou d’un dépôt auprès d’une institution financière, mais n’identifiait pas les modalités spécifiques pour le dépôt ni les termes et conditions de celui-ci. En réalité, il est nécessaire de soumettre à la Cour un plan concret pour la garantie, et ne pas simplement se limiter à énumérer des options et imposer au tribunal le fardeau d’en choisir une, tout en n’offrant aucune preuve que lesdites options sont réalisables.

L’une des raisons pour lesquelles le législateur a établi un seuil élevé pour autoriser la substitution est le fait que des fonds liquides demeurent plus vulnérables qu’un droit réel publié contre un immeuble. Par exemple, en cas d’insolvabilité d’un débiteur, en l’absence d’une hypothèque mobilière irrévocable en faveur du créancier, des fonds dans un compte en fidéicommis d’un avocat peuvent être mis à la disposition de la masse des créanciers. Ceci n’est pas le cas avec un actif immobilier grevé d’un droit réel légitime : le créancier hypothécaire peut s’approprier les fonds disponibles en priorité lors d’une vente éventuelle de l’immeuble.

En réalité, le processus de substitution de garantie peut avoir des avantages tant pour le débiteur que pour le  créancier. En effet, un tel processus pourrait permettre à un débiteur de mieux optimiser un actif immobilier, tout en simplifiant le processus de satisfaction de la dette pour le créancier. Ceci étant, pour ouvrir la porte aux attributs positifs du mécanisme de substitution de garantie, l’affaire Construction Tecta Inc. nous rappelle que le processus de demande auprès du tribunal ne devrait pas être tenu pour acquis.

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