2 septembre 2020

COVID-19 : Conséquences pour les bailleurs et locataires commerciaux

Par: Zarnab Durrani

La crise du COVID-19 a eu un impact économique important sur les bailleurs et les locataires commerciaux à travers la province. Le programme d’aide d’urgence pour le loyer commercial du Canada (AUCLC) du gouvernement fédéral, ainsi que d’autres programmes d’aide, vise à offrir une solution partielle aux parties affectés.

Malgré lesdits programmes d’aide, les bailleurs et les locataires commerciaux se sont trouvés dans une situation inédite et dont l’impact juridique du COVID-19 à long terme sur la relation commerciale entre les parties concernées ne fait qu’apparaître.

L’Aide d’urgence du Canada pour le loyer commercial

Dans le cadre du programme d’AUCLC, les bailleurs commerciaux ont l’option de contracter un prêt-subvention qui couvrira 50 % du loyer brut payable par les locataires commerciaux qui ont été considérablement impactés financièrement par le COVID-19. En participant au programme de l’AUCLC, les bailleurs commerciaux doivent accepter de renoncer à percevoir 25 % du loyer brut payable par les locataires concernés, et ce, pendant la durée du programme. Ainsi, en vertu du programme d’AUCLC, les bailleurs commerciaux peuvent s’attendre à récupérer 75 % du loyer brut autrement payable par les locataires commerciaux fortement affectés par la crise actuelle.

Le 8 juin 2020, le gouvernement du Québec a annoncé des mesures d’aide supplémentaires pour parfaire le programme d’AUCLC. Grâce à ces mesures d’aide supplémentaire, les bailleurs qui se sont engagés à absorber une perte de 25 % de loyer brut dans le cadre du programme de l’AUCLC peuvent percevoir un montant équivalent à 12,5 % du loyer brut, réduisant ainsi de moitié leur perte. Les détails officiels du programme n’ont pas encore été annoncés, mais de plus amples informations à ce sujet sont disponible dans la récente publication de notre cabinet datée du 28 aout 2020 sur LinkedIn.

La décision de participer au programme d’AUCLC a été un sujet de discorde pour certains bailleurs qui, pour une foule de raisons, ont choisi de ne pas y prendre part.

Ce qui suit est un bref aperçu de la position des tribunaux du Québec concernant les litiges commerciaux liés à l’AUCLC.

  1. Rocco Taverne italienne inc. c. Fiducie Marcon-campeau inc., 2020 QCCS 1949

Dans cette affaire, le locataire Rocco Taverne italienne a demandé une injonction interlocutoire pour accéder aux locaux loués, suivant reception d’un avis de résiliation et d’expulsion du bailleur. La Cour a estimé que le refus du bailleur de participer aux programmes d’aide gouvernementaux a créé un fardeau supplémentaire pour le locataire. À ce stade intérimaire de la procédure, la Cour a considéré que la balance des inconvénients était en faveur du locataire et lui a accordé l’accès aux locaux loués.

  1. Investissements Immobiliers G. Lazzara inc. c. 9224-5455 Quebec inc., 2020 QCCS 2176

Dans cette affaire, le bailleur, qui a choisi de ne pas participer au programme de l’AUCLC, a demandé une ordonnance de sauvegarde pour le paiement de la totalité du loyer dû par le locataire. En refusant l’ordonnance de sauvegarde du bailleur, la Cour a reconnu l’engagement du locataire à payer 25 % du loyer brut pendant que le programme de l’AUCLC était en vigueur. La Cour a considéré que, bien que la participation aux programmes d’aide du gouvernement soit volontaire, le bailleur était l’artisan de son propre malheur en refusant d’y participer. La Cour s’appuie sur le principe des « mains propres » pour affirmer que les parties demandant un remède dit d’urgence n’auraient pas dû contribuer à leur propre préjudice, alors que d’autres options moins exceptionnelles étaient possibles.

  1. 9215-3956 Québec inc. c. 9378-9949 Québec inc. (Shack du pêcheur), 2020 QCCQ 2537

Dans ce cas, le bailleur a demandé une ordonnance de sauvegarde pour non-paiement du loyer. L’ordonnance a été accordée par le tribunal. Dans cette affaire, le locataire exploitait un restaurant dont l’activité a cessé à la suite du décret ministériel relatif à la COVID-19. La Cour a pris en considération le fait que le bailleur était disposé à participer au programme de l’AUCLC, mais que le locataire refusait de payer 25 % du loyer brut pour la période concernée. La Cour, s’inspirant du programme de l’AUCLC, a ordonné une réduction provisoire du loyer brut de 75 % et a condamné le locataire à payer provisoirement 25 % du loyer brut pendant que le programme de l’AUCLC restait en vigueur.

COVID-19 et Force Majeure

La communauté juridique a beaucoup spéculé sur la qualification de COVID-19 à titre d’événement de force majeure et sur son impact sur les relations contractuelles entre les parties. La Cour s’est également prononcée sur cette question dans la décision suivante.

  1. Hengyun International Investment Commerce Inc. c. 9368-7614 Québec inc., 2020 QCCS 2251

 À notre connaissance, il s’agit de la seule décision de la Cour sur le fond concernant l’impact de COVID-19 sur la relation contractuelle entre bailleurs et locataires. Dans cette affaire, le locataire (un gymnase) a demandé une exemption de loyer pour les mois d’avril, mai et une partie de juin 2020 en raison de la fermeture des locaux suite aux décrets ministériels liés à la COVID-19. En refusant la demande du bailleur pour la période mentionnée ci-haut, la Cour a déterminé que la COVID-19 est un événement de force majeure qui libère le bailleur de son obligation de fournir une jouissance paisible des locaux loués. Par conséquent, comme le bailleur ne pouvait pas offrir la jouissance paisible pendant la période en question, la Cour a décidé que le loyer correspondant ne pouvait pas être réclamé. La Cour a estimé que la clause de force majeure contenue dans le bail ne concernait que les obligations dont l’exécution était retardée, et non les obligations qui ne pouvaient pas être exécutées du tout. La Cour a déterminé que l’obligation du propriétaire de fournir une jouissance paisible pour la période en question n’était pas « retardée », mais simplement impossible à exécuter.

Bien que cette décision soit rendue sur le fond, les conclusions qui y sont annoncés restent susceptibles de faire l’objet d’un appel et doivent être traitées au cas par cas. En fait, la Cour supérieure a récemment commenté l’argument soulevé dans l’affaire Hengyun dans le contexte d’une ordonnance de sauvegarde prise par un bailleur cherchant à obtenir des arriérés de loyer.

  1. Pontegadea Canada inc. c. Gap (Canada) inc., 6 août, 2020 (*PUBLICATION EN ATTENTE)

 Dans cette affaire, le propriétaire a demandé, par voie d’ordonnance de sauvegarde, le paiement des arriérés de loyer pour les mois de juin et juillet 2020. Au moment de l’audience de l’ordonnance de sauvegarde, les parties avaient déjà conclu un règlement partiel qui prévoyait le paiement du loyer pour les mois de janvier à mars et d’août à décembre 2020. La Cour précise que ces paiements d’arrérages sont accordés dans des circonstances spécifiques : i) lorsqu’il n’y a pas de défense évidente à invoquer par le locataire; ii) lorsque le paiement du loyer n’est pas contesté, mais qu’une opération de compensation est invoquée par le locataire, ou, iii) lorsque le propriétaire subit un préjudice irréparable. La Cour a rejeté l’ordonnance de sauvegarde, concluant que le propriétaire n’avait pas démontré un préjudice irréparable pour justifier le paiement des arrérages au stade de la procédure intérimaire. La Cour a accepté la position du locataire à savoir qu’une défense sérieuse pouvait être invoquée sur la base de l’arrêt Hengyun, notamment l’argument de l’exception d’inexécution. La Cour a déclaré qu’il serait prématuré, au stade intérimaire, de rejeter cette défense sans connaître la portée de l’argument et des faits entourant l’affaire.

Conclusion

En ces temps inédites et compte tenu du traitement judiciaire récent des litiges commerciaux liés à l’AUCLC et au COVID-19, il est important que les bailleurs et les locataires commerciaux fassent preuve de prudence. Comme l’état du droit en la matière évolue rapidement de jour à jour, les bailleurs et les locataires devraient revoir leurs baux commerciaux et travailler ensemble pour conclure des ententes mutuellement satisfaisantes, d’autant plus vu que l’issue d’un litige sera difficile à prévoir une fois soumis aux tribunaux.

 

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